Son regard mécontent observe le verre de cosmopolitain qui vient de se poser devant lui. Ce n’est pas sa commande. Il est certain d’avoir commandé quelque chose de plus fort, sans pour autant pouvoir se souvenir exactement ce que c’était. Ses lèvres pulpeuses, boudeuses, trempent dans le liquide rougeâtre tandis que son regard remonte vers le barman. « Je ne suis pas bourré, tu sais. » se plaint-il. Il ne faut pas le croire et Natsuo le sait mieux que quiconque. Tout son corps est penché sur le comptoir, son torse effleurant la surface en bois. Il sait bien que ce verre est une sorte de message subliminale de la part de l’autre, arrête de boire…arrête de te faire du mal, aussi. Peut-être, il n’en sait trop rien. Il n’est pas dans sa tête pour savoir. Il sait seulement que Natsuo a conscience du fait qu’il déteste le cosmopolitain et qu’ainsi il lui donnera quelques minutes de répit puisqu’il passera un long moment à tenter de le boire. Ses longs doigts plongent dans le liquide pour en tirer une cerise, seule élément du cocktail qu’il apprécie un minimum. Il roule le pauvre petit fruit entre son index et son pouce, le détaille de ses yeux sous ses paupières mi-closes avant de le poser sur le bout de sa langue. Ses gestes sont lents presque sensuelles, c’est seulement l’alcool qui le rend ainsi, ou peut-être sa nature séductrice. Il tente une nouvelle fois de prendre une gorgée de son verre mais grimace sous le goût désagréable. « C’est pas drôle. » soupire-t-il, les sourcils froncés et les yeux fixés sur Natsuo comme s’il était la raison de toutes ses peines, ce qui en soit n’était pas faux pour le moment. Il s’accoude au bar et laissa sa petite tête brune reposer dans sa paume. Il suit chaque fait et geste de Natsuo, l’observe tandis qu’il sert à boire aux autres clients, lance des sourires et quelques paroles à d’autres, lave certains verres. Il se sent presque jaloux, quand l’attention de l’autre est tourné vers quelqu’un qui n’est pas lui. Il ne devrait pas pourtant, c’est malsain. « Donne-moi quelque chose de plus fort, je saurais t’en remercier après… » murmure-t-il, son regard espiègle descendant au niveau de la ceinture de Natsuo. Il était bourré et indécent, définitivement.

some nights

feat. yukio

Ses doigts fins serraient la boisson alcoolisée qu’il était en train de servir à ce jeune garçon, habitué des lieux. Un cosmopolitain, ce que détestait Yukio par-dessus tout. Le serveur avait une bonne intention derrière ce verre « généreusement » offert par la maison, il voyait l’état du cadet, il voyait son corps à moitié allongé sur le comptoir, tentant difficilement de garder ses yeux ouverts. Natsuo savait qu’il allait lui offrir un petit moment de répit avec ce breuvage. Il l’observe détailler la cerise qu’il tient entre ses doigts fins après s’être plaint envers le serveur, prétextant qu’il n’était aucunement ivre. Seulement, son corps le trahissait ainsi que son regard et sa difficulté d’éloquence mais l'aîné ne le jugeait point, bien au contraire. Ce travail obtenu avec chance avait été son unique porte de sortie pour éviter de sombrer comme le jeune Yukio. « Je sais que tu n’es pas bourré mais bois le quand même » avait-il dit tandis que ses croissants de chairs s’étiraient pour laisser place à un beau sourire destiné au garçon avant d’aller servir d’autres clients et discuter avec quelques-uns d’entre eux. Son attention est portée sur tout autre chose que l’autre jeune homme installé à l’autre bout du comptoir, tentant de boire cette boisson qu’il n’apprécie guère. Seulement, Natsuo entend l’offre de Yukio, venant alors instantanément mordre sa lèvre inférieure, bien trop inquiet de son état. « Ce soir t’arrêtes de boire, je vais t’appeler un taxi, à moins que tu préfères qu’on te dépose ? En tout cas je ne te sers plus, je veux pas te voir en train de faire un coma éthylique. » Accompagnant ses dires, le serveur avait ôté le verre de cosmopolitain de devant Yukio, échangeant ce dernier par un café qu’il venait de faire tandis que ses iris ne le quittaient pas d’une seule seconde, ne se préoccupant plus du reste de la clientèle. « T’es sûr que ça va ? »

Pourquoi est-ce qu’il doit se préoccuper de lui, de sa santé physique ou mentale, ou qu’importe. Qu’il lui donne à boire, qu’il renfloue les caisses du bar de la carte noire de papa et lui foute la paix. Yukio veut juste boire, il ne désire que ça pour le moment. Il aurait dû proposer à la bande d’aller en boite de nuit pour s’amuser et boire jusqu’à en oublier son nom, mais c’est sans compter l’étrange attraction qu’à son corps envers ce bar et la personne qui se trouve derrière le comptoir. Il finit toujours là, client fidèle. Mais ça à ses inconvénients aussi, il connait ses goûts et son aversion pour le cosmopolitain que le barman lui a si généreusement offert. Bois quand même, Yukio soupire, passe une main dans ses cheveux ébènes. Il devrait commencer à aller ailleurs, quelque part où les gens ont moins de cœur et où on laissera sombrer. Mais ailleurs serait un endroit sans Natsuo, il ne sait pas pourquoi mais l’idée lui déplait. Il s’est habitué à voir son visage à la fois inquiet et irrité au moins une fois par semaine. Sa présence réconfortante et ses bras quand il soutenait son corps jusqu’à chez lui. Il ne devrait pas pourtant. Il s’est promis de fermer son cœur, il n’a plus envie de se sentir abandonné. Il baisse les yeux pour voir son verre disparaitre comme par magie et se faire remplacer par ce qui lui semblait être un café. « Un café, sérieusement ? » murmure-t-il simplement, toujours boudeur, toujours mécontent. Ses sourcils se froncent et créent un vilain pli sur son front, c’est un vrai gosse. Il sent le regard de l’autre sur lui, il ne changera pas d’avis, Yukio ne le connait que trop bien. Finalement sa tête bouge, de droite à gauche, doucement. Non, il ne va pas bien. Il baisse la tête tandis que ses paumes se joignent autour du café chaud. Il espère qu’il y’ait du lait dedans, il déteste le café noir. « Je peux aller chez toi après ? J’ai pas envie d’être seul à la maison… » Il a craqué, mais sa voix est tellement basse qu’il n’est même pas certain que Natsuo l’entende. Et il n’est pas prêt à répéter ses mots.